Le dernier bain : l’horreur de la Révolution française

22-Le dernier bain

J’ai découvert Le dernier bain lors d’un café littéraire. Il faisait partie d’une sélection de quinze romans. C’est celui dont la quatrième de couverture m’a le plus parlé. Pour trois raisons.

La première, c’est que j’ai un faible pour les romans historiques en ce moment — et mes prochaines critiques ont de fortes chances de vous en présenter.

Ensuite, parce que Le dernier bain promettait de déconstruire l’image mémorielle qu’on nous vend de la Révolution française depuis notre plus jeune âge : une ère glorieuse qui a permis de renverser la tyrannie de la noblesse et de la monarchie. Et elle est loin d’être belle, cette période, surtout quand on a étudié les poèmes ioniques d’André Chénier à la fac : ce poète, malheureusement pour lui modéré, a été dénoncé lors de la Terreur, a eu droit à une farce de procès et a fini guillotiné comme tant d’autres dans le but de désengorger les prisons pour le bon plaisir de quelques révolutionnaires qui s’étaient établis en dictateurs. Ce qu’il raconte de l’envers du décor est terrifiant.

Justement, et c’est ma troisième raison, je voulais découvrir une nouvelle facette de ce qu’a pu être la Révolution française, et en particulier la Terreur.

Le ton est tout de suite donné par l’auteur : enseignante de lettres et femme cultivée, Gwenaëlle Robert raconte sa première confrontation avec le tableau de David, sur l’assassinat de Marat. Numéro un des révolutionnaires, cet homme souffrait d’un eczéma sévère qui l’obligeait à prendre des bains de soufre dans une grande baignoire en cuivre en forme de soulier. Écolière, cela la laisse indifférente. Aujourd’hui adulte, elle est frappée par ce que ce tableau veut représenter : un martyr. Et pourtant, Marat était loin d’être un tendre. L’inspiration vient, le sujet est là, le récit se lance.

Le roman a pour but de dénoncer la personnalité de Marat ainsi que le but qu’il s’était donné : éliminer au moins 100 000 personnes, ennemis supposés de la Révolution, pour mieux asseoir le pouvoir de celle-ci — en fait, le sien. Le héros de la Révolution devient l’ennemi à abattre du roman. Plusieurs personnages croisés dans Paris parlent du mal qu’il leur a causé, directement ou indirectement : Charlotte, jeune normande, qui a vu les massacres de la Terreur tacher sa propre région ; Jane, jeune Anglaise, dont Marat a tué les proches en étant mauvais médecin ; Théodose, ancien prêtre, vit reclus et a renié sa foi pour éviter d’être tué.

Tous ont une raison de se venger de Marat — ou de la Révolution à travers lui. Charlotte vient jusqu’à Paris et prépare son meurtre. Jane vit la nuit pour éviter d’être lynchée à cause de ses origines, prend note des habitudes de Marat pour pouvoir l’approcher, se substitue au garçon qui lui apporte ses médicaments. Théodose attend que la Terreur passe et cache sa véritable identité — ses véritables convictions.

Il y a quelque chose de fantastique à lire des romans historiques : c’est que l’on connaît déjà le sort des personnages. On sait que Marat va mourir poignardé dans son bain. On sait par qui. On sait même ce qui va se dire au procès — et les mots sont tirés des témoignages d’alors. On sait quel sort attend l’assassin.

Et c’est ce qui donne toute sa force à ce genre de récit, c’est ce qui crée la tension : parce qu’on en sait plus que les personnages, parce qu’on appréhende, parce qu’on voit se lier et se délier les fils peu à peu jusqu’à l’inéluctable. C’est tragique. Et c’est ce que j’ai aimé dans ce roman.

Par ailleurs, l’auteur a vraiment une plume incisive, le texte va droit au but, les destins des différents personnages s’alternent et s’entremêlent dans le gigantesque métier à tisser de la destinée. C’est fabuleux. Et c’est dénonciateur.

Parce que plongé dans son bain, Marat recevait les lettres de dénonciation — pire que la délation durant la Deuxième Guerre mondiale — et rédigeait des listes. Des listes de noms. De noms à effacer de la vie. Et tout cela, sans la moindre culpabilité.

C’est révélateur. Révélateur de la période sombre qu’a été la Révolution : une période où l’on restait cloîtré chez soi, où une simple dénonciation était synonyme de guillotine puisque les révolutionnaires maîtrisaient la justice, où les gens avaient une rage effroyable et une soif de sang qui justifiaient de véritables lynchages en pleine rue, une perte de contrôle absolue, une haine pour l’Autre qui n’a pas frappé que les tyrans mais aussi les minorités religieuses, les étrangers, les vulnérables — et pendant ce temps, une partie du peuple fêtait la gloire d’un nouvel avènement sans se rendre compte que la cruauté de ses nouveaux dirigeants n’avait rien à envier à celle des précédents.

Bref, un roman brut et un excellent sujet. La promesse d’une lecture qui ne laissera personne froid. Je recommande.


Le dernier bain — Gwenaële Robert

Robert Laffont — 2018

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