Loin-Confins : l’imagination est-elle une bénédiction ou un fléau ?

Il y a plusieurs choses qui intriguent chez Loin-Confins : le titre, déjà, qui m’a d’ailleurs fait croire au départ que j’avais affaire à un livre de fantasy ; sa couverture qui, dans ses formes et ses couleurs, a quelque chose de déstabilisant ; et très sincèrement, je ne m’attendais pas à de la littérature blanche avec une quatrième de couverture comme celle-ci !

« Il y a longtemps de cela, bien avant d’être la femme libre qu’elle est devenue, Tanah se souvient avoir été l’enfant d’un roi, la fille du souverain déchu et exilé d’un éblouissant archipel, Loin-Confins, dans les immensités bleues de l’océan Frénétique. Et comme tous ceux qui ont une île en eux, elle est capable de refaire le voyage vers l’année de ses neuf ans, lorsque tout bascula, et d’y retrouver son père. Il lui a transmis les semences du rêve, mais c’est auprès de lui qu’elle a aussi appris la force destructrice des songes. »

Même le début du roman ne va pas dans ce sens. Très vite, Loin-Confins s’impose, archipel isolé et inconnu, où se mêlent nombre d’inspirations mythologiques et de cultures méditerranéennes. La topologie est celle d’un univers de fantasy, la faune et la flore ont pour noms des mots-valises et deviennent des chimères.

Mais très vite, on comprend que cet univers merveilleux cache une réalité bien plus terrible…

Véritablement roman tranche de vie, Loin-Confins, écrit par Marie-Sabine Roger et publié aux éditions du Rouergue en 2020 pour la rentrée littéraire, suit l’histoire de Tanah : si le roman est écrit à la troisième personne et emprunte parfois un point de vue omniscient, il est le plus souvent raconté selon un point de vue interne. Et si Tanah, dans cette narration, est adulte, volcanologue et mère de famille, c’est la petite fille de neuf ans que l’on nous présente la majorité du temps.

Tanah a neuf ans, donc. Elle est la petite dernière d’une grande fratrie qui ne compte, à part elle, que des frères. Presque vingt ans la séparent de l’aîné, et tous ont des noms à consonances étranges, choisis par leur père, et souvent inspirés de noms d’îles. Car à écouter son père, ancien et brillant étudiant en histoire, mais depuis placé en invalidité et vivant de pensions, il est le légitime monarque en exil de Loin-Confins, cet archipel que Tanah connaît comme sa poche à force d’être bercée d’histoires à son sujet.

Le tout sous les soupirs de sa mère, femme trop extravertie et trop vulgaire au goût de Tanah, qui dénigre son père et ses « doux rêves », et au final ressemble à l’archétype de la mère au foyer esseulée des années 70 et 80.

Tous les enfants ont déserté. Tous détestent leur père. Mais pas Tanah. Elle le vénère, l’admire, l’idolâtre. Jusqu’à ce qu’elle comprenne que Loin-Confins pourrait ne pas exister. Et que l’invalidité de son père viendrait peut-être de ce qu’il ne parvient plus à faire la différence entre la vie qu’il s’est imaginée, qu’il s’est rêvée, et la réalité morne d’une famille de classe moyenne vivant en banlieue.

Tanah, elle, est une enfant fière, qui tient à son statut de princesse, se sert de Loin-Confins elle aussi pour échapper à la vie terne et insatisfaisante qu’elle a ; mais à l’inverse de son père, elle est aussi d’une lucidité frappante et fait preuve d’une grande maturité pour son âge.

Ce que j’ai trouvé intéressant dans ce livre, c’est de s’arrêter sur la relation père-fille qu’on ne met pas si souvent en lumière, et la manière dont il aborde la santé mentale. L’écriture est vive, poétique, acérée, et les chapitres, courts, se succèdent avec une grande rapidité, ce qui donne un rythme soutenu. On ne s’ennuie pas, en lisant Loin-Confins.

Néanmoins, j’ai parfois eu un peu de mal avec le style, et les clichés de genre qui ressortent en filigrane. Tanah est plus agréable en tant que personnage lorsqu’elle est adulte — dans ses relations à son mari, ses enfants, ses frères qu’elle connaît si peu, et même ses parents — que lorsqu’elle est enfant, car son arrogance, même feinte, et la manière dont elle juge et rejette sa mère ont quelque chose d’irritant.

C’est un livre bien installé dans l’époque qu’il décrit. Et qui reste intéressant à découvrir, ne serait-ce que pour s’extasier devant les pouvoirs de l’imagination et les moments tendres que Tanah partage avec son père, et aborder la question complexe des relations familiales : entre ce que les parents ont tenté de mettre en place, les conséquences que cela a sur leurs enfants, les rancunes, les non-dits, les pardons, et la triste réalité de devoir gérer ses parents vieillissants, même quand on leur en veut, par devoir, et alors que chacun mène sa propre vie. Une lecture qui reste intéressante, mais un roman qui n’entrera pas dans mes favoris. Ça peut être une bonne incursion en littérature blanche pour une personne qui ne lirait que de l’imaginaire.


Loin-Confins — Marie-Sabine Roger

Le Rouergue — 2020

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